La psychiatrie
aujourd’hui.
Résumé de l’entretien avec Jean Cooren le 10 octobre 2013
La psychiatrie, (tant publique que privée) dans son ensemble ne va pas
bien ; les patients, les familles, le personnel, se plaignent. Ils ont en
général raison. La psychiatrie a toujours été le parent pauvre de la médecine
et les budgets publics s'en ressentent, la priorité a toujours été donnée aux
équipements médico-chirurgicaux
les plus spectaculaires au détriment du suivi individuel des patients.
Dans les années 70 on avait imaginé mettre en
place des « secteurs » : les gens sortant de l’hôpital
devaient être suivis à domicile par des équipes d’infirmiers, de psychologues
et de médecins ; une idée excellente,
mais qu’on a laissé dépérir faute de moyens.
Il n’y a jamais eu assez de personnel pour la réaliser et on manque de
crédits pour assurer une formation continue. C'est ainsi que pour les patients atteints de psychose, on ne
peut demander au personnel
une grande disponibilité sur la durée. Il faudrait lui apprendre à écouter vraiment les personnes psychotiques, l'aider
à être au plus près d’eux sans en
être trop affecté personnellement.
Par contre, l'encadrement administratif a été renforcé et les services hospitaliers reçoivent
des recommandations exigeantes: chiffrer tous les actes effectués et les résultats obtenus, préciser les
objectifs poursuivis dans chaque soin ;
mais comment noter un sourire, une parole d’encouragement, une
discussion entre collègues ? Les soignants passent beaucoup de temps
à remplir des enquêtes au jour le jour avec le sentiment que ça ne servira à
rien. Et c'est le cas.
Le Directeur
Administratif, responsable auprès de l’État de la bonne
« gestion » de son hôpital, a, réforme après réforme, été investi d’un pouvoir
considérable. Les médecins
chefs de services se sentent « surveillés », ils peuvent de plus en
plus être « mis en défaut » par l’Administration. Cette insécurité nuit à la bonne marche des
services. « On » (l’Agence Régionale de la Santé, c'est-à-dire le
Ministère et donc le gouvernement qu’il soit de droite ou de
gauche) prétend orienter les
soins ainsi en est-il par exemple pour
les enfants autistes : on favorise les techniques
comportementalistes (issues des U.S.A.), qui, appliquées sans discernement,
peuvent s’apparenter à un « dressage » avec punitions et récompenses.
Et on jette un discrédit sur la
psychanalyse qui essaie de sortir
l'enfant autiste de son retranchement intérieur Or l’association judicieuse de ces deux méthodes donne de bien meilleurs résultats
Les patients deviennent de
plus en plus des objets de soins, ils ne sont plus assez respectés en tant que
personnes, et on leur donne souvent
trop de médicaments.
Le « fou » fait peur, à la différence du chauffard !
Or par rapport au nombre de blessés et de morts dus au trafic routier, ceux occasionnés par une personne
« dérangée » sont infimes.
La peur de la
folie rejoint la peur profonde qui existe en l’être humain par rapport à ce qu'on ne comprend pas.
Comment faire évoluer cette peur pour qu'elle ne retombe pas sur tout ce
qui est « étrange» ou « étranger » ? Il faudrait du moins aller
dans le sens d’une analyse philosophique du problème et ne pas en faire une
question de morale.
La société elle-même a évolué, mettant en premier
la sécurité et l’argent dans une
ambiance néolibérale à outrance.
Dans la mentalité libérale prédominante,
les hôpitaux, tant publics que privés, sont
gérés comme des entreprises qui doivent avoir
une maîtrise comptable et, autant que possible, faire des bénéfices.
Cette conception commence à faire des dégâts et ce n’est pas fini...
L’industrie
pharmaceutique participe pleinement au courant consumériste :
il lui faut vendre de plus en
plus de médicaments et donc en
faire consommer de plus en plus ! Une des façons d’en arriver là est de
transformer de simples symptômes en nouvelles
maladies …auxquelles s’appliqueront automatiquement (ou presque) des
médicaments à donner. C’est une pratique
purement commerciale.
En psychiatrie,
s’il faut parfois prescrire des médicaments il faut aussi en être
économe. Je suis opposé aux prescriptions qui enferment l'esprit
dans une camisole chimique. Il ne s’agit pas d’exclure tout médicament, mais
il est judicieux d’en donner le moins
possible et de se méfier des effets secondaires. Si certains antipsychotiques ont transformé la vie de patients,
leur permettant de mener une vie à peu
près normale, et si on ne peut
pas non plus refuser des anxiolytiques et parfois des antidépresseurs à des
personnes qui souffrent beaucoup et implorent de l’aide, beaucoup de
patients acceptent
de se limiter si on les
accompagne vraiment, ce qui demande du temps et de l'énergie. On devrait
avoir le droit de pleurer sans recevoir pour autant un antidépresseur
Suivre un patient ce n'est pas le
commander.
Conclusion
Pour que les choses
évoluent positivement il faudrait améliorer la formation du
personnel et modifier le recrutement des
médecins. Depuis la réforme des
études médicales qui a mis en route « l’internat pour tous »,
certains étudiants, mal placés au concours, font psychiatrie non pas par goût
mais faute de mieux. Ils ne sont plus assez motivés pour cette spécialité dont l'essentiel de la pratique repose sur la
qualité de relation et la parole. Cette évolution a joué un grand rôle
dans la situation actuelle de la psychiatrie en France car la psychiatrie n'est pas une spécialité médicale comme une autre.
L'approche pseudo-scientifique consumériste ne
permet pas aux gens d’évoluer avec leur
histoire et dans leur milieu. Les responsables politiques devraient davantage
associer les citoyens à la réflexion et « oser » bousculer les
habitudes, par exemple faciliter
les relations entre la psychiatrie de ville, celle de l’hôpital, et la médecine
générale (comme le prévoyait l'organisation en secteurs), mais ceci supposerait de revoir l'ensemble du système de
soins, d'y intégrer ce qu'on nomme
« la maladie mentale » autrement que sous la forme d'un épouvantail.
Il n'y a pas les fous d'un côté et les bien-portants de l'autre.
Depuis toujours l’humanité avance sur le fil
du rasoir,
Continuons à « résister » et à
inventer.
Fin
N.B Un compte-rendu complet est à disposition sur simple
demande à Santé pour Tous, et le docteur
Jean Cooren est à votre disposition pour répondre à vos questions :