lundi 27 janvier 2014

La psychiatrie aujourd'hui






 La psychiatrie aujourd’hui.

Résumé de l’entretien avec Jean Cooren le 10 octobre 2013

    
  La psychiatrie, (tant publique que privée) dans son ensemble ne va pas bien ; les patients, les familles, le personnel, se plaignent. Ils ont en général raison. La psychiatrie a toujours été le parent pauvre de la médecine et les budgets publics s'en ressentent, la priorité a toujours été donnée aux équipements médico-chirurgicaux les plus spectaculaires au détriment du suivi individuel des patients.

 Dans les années 70 on avait imaginé mettre en place des « secteurs » : les gens sortant de l’hôpital devaient être suivis à domicile par des équipes d’infirmiers, de psychologues et de médecins ; une idée excellente, mais qu’on a laissé dépérir faute de moyens.

       Il n’y a jamais eu assez de personnel pour la réaliser et on manque de crédits pour assurer une formation continue. C'est ainsi que pour les patients atteints de psychose,  on ne peut demander au personnel une grande disponibilité sur la durée. Il faudrait lui apprendre à écouter vraiment les personnes psychotiques, l'aider à être au plus près d’eux sans en être trop affecté personnellement.



Par contre, l'encadrement  administratif a été renforcé et les services hospitaliers reçoivent des recommandations exigeantes: chiffrer tous les actes effectués et les résultats obtenus, préciser les objectifs poursuivis dans chaque soin ; mais comment noter un sourire, une parole d’encouragement, une discussion entre collègues ? Les soignants passent beaucoup de temps à remplir des enquêtes au jour le jour avec le sentiment que ça ne servira à rien. Et c'est le cas.



*             Le Directeur Administratif, responsable auprès de l’État de la bonne « gestion » de son hôpital, a, réforme après réforme, été investi d’un pouvoir considérable. Les médecins chefs de services se sentent «  surveillés », ils peuvent de plus en plus être « mis en défaut » par l’Administration.  Cette insécurité nuit à la bonne marche des services. « On » (l’Agence Régionale de la Santé, c'est-à-dire le Ministère  et donc le  gouvernement qu’il soit de droite ou de gauche) prétend orienter les soins ainsi en est-il par exemple pour les enfants autistes : on favorise les techniques comportementalistes (issues des U.S.A.), qui, appliquées sans discernement, peuvent s’apparenter à un « dressage » avec punitions et récompenses. Et on jette un discrédit sur la psychanalyse qui essaie de sortir l'enfant autiste de son retranchement intérieur Or l’association judicieuse de ces deux méthodes donne de bien meilleurs résultats 

Les patients deviennent  de plus en plus des objets de soins, ils ne sont plus assez respectés en tant que personnes, et on leur donne souvent trop de médicaments.

    

Le « fou » fait peur, à la différence du chauffard ! Or par rapport au nombre de blessés et de morts dus au trafic routier,  ceux occasionnés par une personne « dérangée » sont infimes.



*            La peur de la folie rejoint la peur profonde qui existe en l’être humain par rapport à ce qu'on ne comprend pas. Comment faire évoluer cette peur pour qu'elle ne retombe pas sur tout ce qui est « étrange» ou « étranger » ? Il faudrait du moins aller dans le sens d’une analyse philosophique du problème et ne pas en faire une question de morale.

*            La société elle-même a évolué, mettant en premier la sécurité et l’argent dans  une ambiance néolibérale à outrance.



*        Dans la mentalité libérale prédominante, les hôpitaux, tant publics que privés, sont gérés comme des entreprises qui doivent avoir une maîtrise comptable et, autant que possible, faire des bénéfices. Cette conception commence à faire des dégâts et ce n’est pas fini...

     L’industrie pharmaceutique participe pleinement au courant consumériste : il lui faut vendre de plus en plus de médicaments et donc en faire consommer de plus en plus ! Une des façons d’en arriver là est de transformer de simples symptômes en nouvelles  maladies …auxquelles s’appliqueront automatiquement (ou presque) des médicaments à  donner. C’est une pratique purement commerciale.



*           En psychiatrie, s’il faut parfois prescrire des médicaments il faut aussi  en être  économe. Je suis opposé aux prescriptions qui enferment l'esprit dans une camisole chimique. Il ne s’agit pas d’exclure tout médicament, mais il  est judicieux d’en donner le moins possible et de se méfier des effets secondaires. Si certains antipsychotiques ont transformé la vie de patients, leur permettant de mener  une vie à peu près normale, et si on ne peut pas non plus refuser des anxiolytiques et parfois des antidépresseurs à des personnes qui souffrent beaucoup et implorent de l’aide, beaucoup de patients acceptent de se limiter si on les accompagne vraiment, ce qui demande du temps et de l'énergie. On devrait avoir le droit de pleurer sans recevoir pour autant un antidépresseur     

       Suivre un patient ce n'est pas le commander.



Conclusion



   Pour que les choses évoluent positivement  il faudrait améliorer la formation du personnel et  modifier le recrutement des médecins. Depuis la réforme des études médicales qui a mis en route « l’internat pour tous », certains étudiants, mal placés au concours, font psychiatrie non pas par goût mais faute de mieux. Ils ne sont plus assez motivés pour cette spécialité dont l'essentiel de la pratique repose sur la qualité de relation et la parole. Cette évolution a joué un grand rôle dans la situation actuelle de la psychiatrie en France car la psychiatrie n'est pas une spécialité médicale comme une autre.

     L'approche pseudo-scientifique consumériste ne permet pas  aux gens d’évoluer avec leur histoire et dans leur milieu. Les responsables politiques devraient davantage associer les citoyens à la réflexion et « oser » bousculer les habitudes, par exemple faciliter les relations entre la psychiatrie de ville, celle de l’hôpital, et la médecine générale (comme le prévoyait l'organisation en secteurs), mais ceci supposerait de revoir l'ensemble du système de soins,  d'y intégrer ce qu'on nomme « la maladie mentale » autrement que sous la forme d'un épouvantail. Il n'y a pas les fous d'un côté et les bien-portants de l'autre.



         Depuis toujours l’humanité avance sur le fil du rasoir,

                     Continuons à « résister » et à inventer.



                                                              Fin



N.B Un compte-rendu complet est à disposition sur simple demande à Santé pour Tous, et  le docteur Jean Cooren est à votre disposition pour répondre à vos questions :


Les photos viennent du film: "vol au dessus d'un nid de coucou" (1975)